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Libérons la parole …

Sans doute, cette expression ne vous laisse pas indifférents…

Elle évoque tout ce chemin d’abord lent, hésitant, puis plus assuré que notre Église prend pour oser sortir du scandaleux silence qui pesait, qui pèse encore,  sur toutes les questions de maltraitance aux enfants et notamment les actes de pédophilie commis par des clercs…

Dans sa « lettre au peuple de Dieu » cet été, notre pape citait 1 Cor 12,26 : « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ».

Il poursuivait : « crime qui génère de profondes blessures faites de douleur et d’impuissance en premier lieu chez les victimes, mais aussi chez leurs proches et dans toute la communauté, qu’elle soit composée de croyants ou d’incroyants ».

En effet, lorsque l’on parle de  l’Eglise, il va de soi qu’il ne s’agit pas seulement de la hiérarchie. Nous tous, peuple de Dieu, membres de « la Sainte Eglise de pécheurs » (P. Congar) sommes concernés, touchés d’une façon ou d’une autre.

Il faut bien le reconnaître, si les choses avancent, c’est surtout parce que des victimes ont osé parler, hurler et, tel un jeu de domino, la parole qui se libère en libère d’autres.

Reprenant la lettre de l’ESCN envoyée à tous les compagnons en réponse à la lettre du Pape François, je dirais la gratitude pour cette parole qui se libère.

« Nous avons constaté que, parmi nous, membres de l’ESCN , plusieurs avaient été victimes d’agressions dans leur enfance ou leur adolescence. Ce constat prouve que ce sujet concerne tout le monde, dans tous les milieux.

Nous avons constaté que cette lettre réactive des souvenirs, et nous pensons que cela est positif : pour briser le silence, pour permettre des échanges, pour aider ceux qui ont subi de telles exactions à en parler, pour soutenir communautairement cet effort de vérité.

Face à ces deux constats, nous avons le désir d’avancer concrètement (…) en lien avec notre charisme et les moyens inhérents à notre spiritualité. »

Un peu plus loin : « Nous ne pouvons ni ne voulons nous substituer aux professionnels. Mais nous sommes témoins que la parole en Communauté locale, lorsqu’elle est possible, est libérante ».

Ainsi est née une équipe de veille cherchant des pistes pour aider « à mettre en œuvre la circulation de la parole et le discernement en CVX et plus largement en Eglise »

Et c’est de ce qui se passe dans notre Église et nos diocèses que je viens vous parler aujourd’hui.

 

Dès 2010 La conférence des évêques de France (CEF) éditait un document « lutter contre la pédophilie » puis en 2017 un guide du même titre qu’il est facile de se procurer.

Mais c’est surtout depuis 2016 que la CEF a créé une structure permanente de lutte contre la pédophilie, avec la mise en place de différentes actions de  sensibilisation, de formation, et la création d’un site et d’une adresse mail où toute personne victime ou témoin peut déposer un témoignage avec garantie que chaque démarche sera accueillie et traitée.

Site : https://luttercontrelapedophilie.catholique.fr

Adresse mail : paroledevictime@cef.fr

Parallèlement les évêques étaient invités à créer dans leur diocèse des cellules locales d’accueil et d’écoute constituées par des professionnels compétents (médecins, psychologues, juristes, conseillers conjugaux..)

Actuellement, il existe en France 71 structures diocésaines ou interdiocésaines mobilisables à la demande. On peut  joindre la cellule de son diocèse en consultant le site du diocèse ou le site national cité plus haut.

Quelques rencontres régionales ou nationales permettent à ces cellules d’harmoniser peu à peu leurs lettres de mission et leur fonctionnement. Elles sont « l’oreille de l’Eglise » sur ces délicats sujets et peuvent parfois conseiller l’évêque.

Depuis que ces dispositions sont mises en place, le nombre de signalements ne fait que croître… ce ne sont pas les actes qui se multiplient, fort heureusement, mais le signalement de faits plus ou moins anciens et tus jusque là.

Personnellement, j’appartiens à la cellule d’écoute de mon diocèse.  Nous sommes trois, médecin ou juriste, appelés par notre évêque. Il nous a été remis un téléphone que nous nous passons à tour de rôle et dont le n° devrait être diffusé le plus largement possible. Mais que de réticences et de silences encore !!

Créée depuis 2 ans, le démarrage de cette cellule a été lent, principalement pour les difficultés à se faire connaître… Longtemps, nous nous sommes demandés à quoi nous servions… comme une mission virtuelle !!

Nous voilà dans le réel  à la suite d’une rencontre nationale en Décembre dernier à laquelle j’ai eu la chance d’assister. J’ai pu voir la vitalité de la commission permanente et celle de cellules plus avancées que nous.

 

Récemment aussi, nous avons été amenés à écouter et accompagner un homme de plus de 60 ans ayant été victime à 13 ans au cours d’un camp. C’est d’un homme complètement détruit que nous avons écouté la souffrance, souffrance doublée par l’impossibilité d’en parler et le fait de n’avoir pas été cru quand il a essayé de le dire plus tard… Il croyait avoir tourné la page, mais l’émotion a ressurgi violemment à l’entente des témoignages de victimes à la télé lors de leur rencontre avec les évêques.

Il vient avec le désir de savoir ce que l’auteur est devenu, de discerner l’impact de ces évènements dans sa vie affective et sexuelle d’adulte. Il ne revendique rien, n’a pas de colère, mais veut parler pour aider l’Eglise.

Trois rencontres, des recherches aux archives du diocèse, (pourtant infructueuses) et voilà qu’il nous remercie vivement, disant combien cela l’a apaisé…

Ceci me conforte dans cette conviction, déjà acquise par mon métier, que des personnes peuvent porter des poids très lourds toute leur vie. C’est alors pour elles une grande chance quand l’occasion leur est donnée de déposer le fardeau… juste être écouté peut suffire.

Voilà qui  conforte notre petite cellule d’écoute dans la gravité de cette mission qui nous est confiée et dans le désir d’œuvrer de toutes les façons pour que des victimes osent parler et être écoutées jusqu’au bout.

Nous cherchons également des moyens de développer la prévention, comment accompagner des prêtres en souffrance sur ces questions…

Mais il est sans doute bien difficile de s’adresser à des inconnus, même s’ils sont reconnus « compétents ».

Aussi, avec l’ESCN, nous nous demandons comment faciliter la parole dans les CL où nous nous efforçons à l’écoute, à la bienveillance et au soutien. Si ce n’était que cela, ce serait déjà si bon !!

Bien sûr, en CL nous ne sommes pas là comme professionnels, nos rencontres ne sont pas des groupes thérapeutiques, mais nous pouvons préparer notre cœur et nous interroger sur notre disponibilité intérieure pour entendre des histoires difficiles.

En effet, au-delà du cas particulier de la pédophilie ou de l’inceste, combien d’entre nous portent des histoires lourdes que nous n’osons pas confier aux compagnons et pour lesquelles nous sommes laissés à notre solitude : conflits familiaux, divorces, violences conjugales, homosexualité… etc.

J’écris ceci en ce jour de l’Epiphanie et je lis ce texte d’Isaïe (60,1..)

« Debout Jérusalem (Église, épouse du Christ, Peuple de Dieu), resplendis ! Elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi, sa gloire apparaît.

Ayons à cœur, nous, membres de la CVX appelés par le Seigneur pour servir sa gloire en ce monde, de contribuer à notre petite mesure, à la levée de ces ténèbres.

Annick Nony